Extrait de l’interview du cardinal André Vingt-Trois dans La Croix, 4 octobre 2017 (Entretien exclusif recueilli par Bruno Bouvet et Isabelle de Gaulmyn):
Concernant la PMA, on a cependant le sentiment que le combat est perdu d’avance pour les chrétiens…
Card A.V-T. : D’abord, reconnaissons que la médiatisation de la question n’est pas honnête. Toute la complexité de l’avis du Conseil national d’éthique (CCNE) sur le sujet est passée à la trappe dans le compte rendu qu’en ont fait la plupart des journalistes, qui se sont contentés de dire que le CCNE avait donné son accord. C’est malhonnête, on traite une question dont les enjeux humains sont considérables comme s’il n’existait pas d’enjeux. Pour moi, le plus important, c’est de savoir quel regard porter sur l’enfant. Est-il un objet qui doit satisfaire un désir ou un besoin ? Ou bien une personne qui a ses propres droits ? On crée des procédures qui sont objectivement des procédures de chosification de l’enfant. Il ne s’agit pas de porter un jugement sur le fait que des personnes prises individuellement soient capables d’élever un enfant. Ce n’est pas le problème ! La loi n’a pas à gérer des cas particuliers, elle doit dire quelque chose pour l’ensemble de la société. Dans le cas présent, on affirme qu’un enfant peut vivre sans avoir de référence paternelle même symbolique, sans connaître ses racines et savoir d’où il vient.
Ensuite, si on prend en considération l’argument de l’égalité pour justifier l’accès des couples de femmes à la PMA, on aboutit logiquement à la possibilité de la gestation pour autrui (GPA). Lorsque les femmes en couple auront le droit d’avoir des enfants, les hommes vont le revendiquer pour eux, sans que l’on ne se pose la question des moyens mis en œuvre pour satisfaire ce désir.
Il faut sensibiliser les responsables politiques au travail qui avait été fait lors de la première révision des lois de bioéthique en 2009. Si la révision de 2018 veut changer quelque chose, il faut qu’elle prenne des moyens correspondants. Et en particulier que les positions divergentes ne soient pas caricaturées sur l’échiquier du modernisme et du conservatisme.
Le pape François a entrepris une profonde réforme de l’Église, notamment avec Amoris lætitia pour la morale familiale. Mais certains craignent une forme de relativisme, conduisant à accepter toutes les situations dans lesquelles vivent les chrétiens, sans tenir compte de la morale chrétienne…
Card A.V-T. : Le pape nous dit simplement l’importance de prendre en compte les situations qui existent. Il ne faut pas oublier qu’il est jésuite, et donc qu’il aborde la réalité dans le dyna- misme de la conversion spirituelle des exercices de saint Ignace. Il commence par écouter ce que disent les gens, ce qu’ils font. Puis il exerce un discernement spirituel, pour peser tout cela devant le Seigneur.
Si on interprète les décisions du pape François uniquement dans le registre organisationnel, on n’y comprend rien. Pour comprendre le pape, il faut se placer sur le terrain du discernement spirituel. L’enjeu, pour lui, est que le plus grand nombre progresse dans la suite du Christ, chacun devant faire un choix. Per- sonne ne pourra éviter à personne la question de sa conversion personnelle : on peut avoir des dispositifs canoniques, des règlements, mais la liberté des hommes se joue dans leur conversion.